Le post en format pdf est disponible Ma chronique du lundi 8 octobre 2018
Au Brésil, Jair Bolsonaro arrive en tête des élections présidentielles avec 46% des voix. Au-delà de ses positions clivantes sur la société brésilienne (statut des femmes, des gays), sur la critique de l’accord de Paris sur le climat, de la corruption des gouvernements précédents et son souhait de régler la violence endémique du Brésil en armant les brésiliens, y-a-t-il des fondements économiques à sa probable victoire ? (pour plus de détails sur la rupture politique voir mon post ici en anglais)
Oui très clairement. Depuis 2014 et l’effondrement du prix des matières premières l’économie brésilienne souffre. La récession de 2014-2015 et 2016 a été très longue et la reprise qui a suivi a été très faible. Il s’agit davantage d’une stabilisation que d’une véritable reprise.
Au 2ème trimestre 2018, le niveau de ce PIB est encore 6% au-dessous du niveau constaté au premier trimestre 2014.
Cette situation dramatique résulte de deux éléments: le premier est une grande dépendance aux matières premières avec une situation très confortable lorsque au début de la deuxième décennie des années 2000 la Chine devient le premier partenaire commercial du Brésil. Les débouchées s’accroissent et le prix des matières premières s’envole. Les revenus sont donc plutôt confortables et n’incitent pas à l’investissement. C’est le syndrome de la maladie hollandaise. Le revenu des matières premières n’incite pas à investir dans une activité alternative puisqu’il y a ces revenus. Lorsque la Chine croit à un rythme plus limité et que le prix des matières premières recule fortement, l’économie brésilienne est incapable de réagir. L’économie se grippe et connait une profonde récession.L’autre élément est qu’en 2014 et 2016 le Brésil a mobilisé d’importantes ressources pour financer d’abord la coupe du monde de football puis les jeux olympiques. Dans un pays connaissant un fort déficit de compte courant, le financement s’opère sous contrainte. Le financement des infrastructures publiques a évincé l’investissement productif, renforçant ainsi le syndrome de la maladie hollandaise.
Les brésiliens ont payé le prix fort de cet épisode à la gloire du Brésil.
Prix fort sur l’emploi et le pouvoir d’achat ?
Oui. L’emploi a chuté et l’inflation s’est accélérée. L’emploi n’a pas retrouvé son niveau de 2015 si l’on suit l’indicateur de l’enquête Markit. C’est notamment vrai dans les services car dans le secteur manufacturier, l’emploi est stabilisé depuis environ 1 an mais à un niveau faible. Les brésiliens paient encore le prix de la récession.
L’autre point est que l’inflation s’est envolée (presque 11% au début de 2016) et comme les salaires n’ont pas suivi le même mouvement, le pouvoir d’achat s’est réduit. Pour réduire l’inflation, la banque centrale a durci sa politique monétaire avec un taux d’intérêt réel positif. Cela a pu accentuer et prolonger la récession de l’économie brésilienne.Au regard de ces données, longue récession sans véritable reprise, réduction de l’emploi et chute du pouvoir d’achat on comprend la réticence des brésiliens à reconduire le parti sortant. Cela ne valide pas pour autant les choix qui ont été faits.
Quelle dynamique à court terme pour l’économie brésilienne ?
L’économie brésilienne reste encore très fragile et les dernières enquêtes suggèrent que le risque de récession reste fort.
Le ralentissement de l’économie mondiale n’est pas un facteur favorable pour accentuer la dynamique de l’activité. Le prix des matières premières n’est toujours pas orienté à la hausse à l’exception du pétrole. La tâche du nouveau président va être très difficile car les attentes sont très fortes. Contrairement aux USA, le Brésil n’est plus une économie puissante, elle doit d’abord se reconstruire et le chemin sera très long. Le risque est donc d’avoir une évolution qui ne satisferait pas les attentes des électeurs brésiliens alors que le pouvoir durcit le ton pour maintenir l’ordre.
Parlant des USA, le rapport sur l’emploi était-il bon ?
Oui indéniablement. Depuis 3 mois, depuis 6 mois, depuis un an l’emploi progresse d’environ 200 000 unités par mois avec des amplitudes réduites autour de ce chiffre.
Il est plus élevé que la hausse de la population active ce qui se traduit par une baisse du taux de chômage.
Le point important est la hausse rapide des personnes passant directement de la non inscription dans les statistiques de flux du chômage à l’emploi. Cela veut dire que la dynamique de création d’emplois est incitative. Chacun, même en dehors du marché du travail a le sentiment qu’il peut trouver un emploi et effectivement il en trouve.
Ce qui est généralement observé est la perception de pouvoir retrouver un emploi ce qui gonfle le chiffre du chômage au moins à court terme. Dans la situation actuelle, les américains regardent vers le marché du travail, sont incités à y aller et trouvent du travail immédiatement. C’est assez particulier.Cela provoque-t-il une pression sur les salaires ?
Oui cela commence. On perçoit de plus en plus de phase d’accélération des salaires sur 3 mois. On peut avoir le sentiment que progressivement le marché du travail US change de cadre et se comporte de façon plus habituelle.
Ce n’est pas encore totalement le cas car la hausse sur un an des salaires est encore réduite et n’a pas retrouvé les niveaux qui étaient observés avant la crise.
Et la Fed dans tout cela ?
Elle tient un discours cohérent et de plus en plus audible par les investisseurs, elle va continuer de resserrer sa politique monétaire pour éviter la formation de déséquilibres qui ne seraient plus contrôlables. Ce changement de perception s’est traduit par une hausse des taux longs autour de 3.2%
La façon dont la Fed va gérer l’environnement immédiat sera majeure. Les investisseurs étaient jusqu’à présent persuadés que les taux longs évolueraient peu parce que les anticipations d’inflation sont réduites. Powell a modifié cette perception car il a clairement indiqué une politique volontariste. Ce n’est pas une surprise puisque la politique budgétaire alimente la demande domestique et crée des déséquilibres. Cette prise de conscience se retrouve dans l’allure du taux à 10 ans.
C’est le début d’une hausse des taux longs ?
Cela dépendra de la communication de la banque centrale US.
Rappelez-vous lorsque le 4 février 1994 la Fed remonte son taux de référence qui était stable depuis de nombreux mois en indiquant qu’elle craignait un risque d’inflation. Cela s’était traduit par un ajustement massif du taux 10 ans US et par la suite des taux européens. La surprise de la Fed avait eu des conséquences fortes et persistantes.
Une telle configuration n’est surement pas souhaitable aujourd’hui car le marché immobilier US a commencé à s’ajuster. Une hausse supplémentaire des taux hypothécaires (déjà très hauts) accentuerait ce phénomène.
A la Fed de convaincre les investisseurs qu’elle pourra gérer l’économie en limitant au maximum les déséquilibres sur l’inflation, notamment, afin que l’ajustement sur la partie longue de la courbe des taux ne soit pas trop important. La Fed doit donc intervenir vite et fort pour limiter ce type de risque, peut-être plus encore et plus vite que ce que les investisseurs ont aujourd’hui en tête.
L’ajustement de la croissance se fait progressivement en Europe ?
Oui l’INSEE a révisé sa prévision pour 2018 à 1.6%, les sages allemands aussi à 1.8%. Ceci est plus conforme avec les indicateurs d’enquête observés. Les italiens aussi ont revu leurs anticipations de croissance et cela engendre une accalmie sur le risque italien.
William Nordhaus et Paul Romer comme prix Nobel c’est une bonne idée ?
Une excellente idée. Le premier a réfléchi depuis longtemps et avec beaucoup de pertinence à la question des ressources et du réchauffement climatique. Il a eu un rôle majeur. Aller sur son site à Yale sa littérature est très lisible. Quant à Paul Romer il a permis de penser différemment la question de la croissance en intégrant l’innovation de façon endogène.